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Pourquoi diable courons-nous?
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Pourquoi diable courons-nous?

Depuis longtemps cette question me travaille. Elle résonne chaque fois que je vois des milliers d’inconnus s’élancer joyeusement avec moi dans une longue et éreintante course à pied organisée. Elle me revient quand j’entends le bruit sourd des semelles des centaines de coureurs qui comme moi arpentent quotidiennement les allées pourtant peu exotiques des parcs de Bruxelles. Allez quoi… objectivement… il faut reconnaitre la réalité : courir est absurde. L’homme a évolué pendant des milliers d’années pour s’affranchir de toute contrainte physique et le voilà qu’il court, qu’il sue, en répétant bien souvent des milliers de fois la même boucle. Mais pourquoi ce besoin, pourquoi cette envie ? Pourquoi ne pas profiter de cet écran de temps libéré pour se nourrir intellectuellement, ou partir à la conquête d’horizons inconnus, qu’ils soient sociaux ou géographiques?

Hypothèse 1 : L’envie de nous entretenir physiquement, sentant que la surcharge pondérale nous menace tous sournoisement…

Sans doute cela joue-t-il un rôle, du moins au début, dans la mise en action du coureur novice. Superficiels que nous sommes, nous exécrons l'idée de nous imaginer flasques. Dans une société toujours plus sédentaire, la course à pied nous apparaît alors souvent comme un moyen idéal de sculpter notre silhouette…

Mais cette hypothèse est loin de me satisfaire entièrement. En effet, cette motivation seule ne suffirait jamais à dompter nos tempéraments de procrastinateurs crasses sur le long terme. En outre, si le coureur débutant court pour maintenir sa ligne pendant les premiers mois, à la longue, le mécanisme s'inverse : il maintient sa ligne pour courir mieux…

Il convient donc de remettre cette réflexion dans le bon sens : la course à pied est une motivation pour rester mince, car avoir un poids idéal aide beaucoup les coureurs, mais elle n’est pas un gage de maintien de la ligne ! Loin de là !

Une coureuse m’expliquait pourtant récemment "Courir est un plaisir qui dépasse largement la simple sensation d’éliminer des calories, mais j’avoue que mes sorties m’aident souvent à compenser quelques excès alimentaires. Savoir que j’ai trop mangé la veille m’oblige à enfiler ma tenue ! Dans ma tête je n’ai pas le choix ! "

Un équilibre naitrait donc tout de même, courir étant une motivation pour rester mince, et en même temps une aide pour compenser des excès. Courir deviendrait donc une sorte d’autoflagellation visant à réduire la culpabilité d’une fête quelque peu assassine pour ses neurones ou simplement d’un repas beaucoup trop copieux…

Mais il convient de révéler ici un problème qui concerne tous les coureurs (et les sportifs en général) : si la course fait éliminer, elle vous affame aussi… Gare aux heures qui suivent une séance, elles peuvent se transformer en véritable crise de boulimie, dont le corps ne sera pas vraiment friand à long terme!

Hypothèse 2 : Le besoin de prouver à son entourage notre capacité à nous discipliner sportivement. D’accomplir un dépassement purement physique, source de fierté.

Plus je lis cette phrase, plus je ricane. Cette idée est belle, oui, mais sur le papier seulement. Cette impression d’intense fierté peut, certes, apparaître nettement au moment où le père de famille passe la ligne d’arrivée de son premier marathon, la poitrine bombée, devant ses enfants venus l'encourager… Mais était-elle vraiment présente quelques années auparavant lorsque ce même père famille bravait chaque soir le froid et la pluie pour essayer de boucler péniblement son premier "10km" en solitaire, dans l'anonymat le plus total et l'incompréhension des siens?

Retravaillons l’hypothèse : il s’agirait plutôt d’une fierté personnelle, d’un engagement envers sa seule personne d’aller au-delà de ses limites ? C’est ce qui ressort en tous cas de tous les slogans des publicitaires et des grands shows télévisés qui glorifient, à coups de phrases tapageuses, la réalisation par un coureur lambda d’ultramarathons et autres ironmans. Les publicitaires ne se trompent que rarement… Cette hypothèse me semble donc tenir largement la route. Elle touche à l’intime conviction du coureur amateur qui est persuadé de courir avant tout contre lui-même… et pour un objectif qu’il se fixe seul.  Qu’il s’agisse d’ailleurs d’une course en particulier (les 20km de Bruxelles, un marathon) ou d’un chrono spécifique. Il importe en fait moins au coureur de battre un adversaire ou de crier son exploit sur tous les toits, que d’atteindre son objectif sourire aux lèvres, les joues en feu et les yeux braqués sur son chronomètre.

Narcisse, ce coureur

Car la course à pied est avant tout l’apanage des loups solitaires, voire nombrilistes. Sa pratique récurrente impose qu’on s’inflige notre propre présence des heures durant. Elle implique donc de se supporter soi-même et d’accepter d’entrer en dialogue avec son corps, mais aussi avec son imagination et ses angoisses…C’est pourquoi ce sport est souvent considéré (en partie à tort) comme une solution clé sur porte au manque de confiance en soi. J’ai lu dernièrement un témoignage alléchant de simplicité : " If you finish an Ironman, you’ll be able to do anything else in your life". Parallèle complètement faux ? Un peu exagéré en tout cas ! Si vous terminez un ironman, cela ne vous transformera pas soudainement en tête brulée capable de tout. Pourtant, indéniablement, atteindre un objectif sportif fixé est positif pour l’estime. Pour une personne qui manque de confiance en ses capacités intrinsèques, l'accomplissement sportif a un très agréable goût de "quand on veut, on peut" … D’autant qu'il est question d’évaluer positivement le respect d’une stricte autodiscipline à long terme. Terminer un marathon dans un bon état, selon un chrono que l'on s'est fixé est impossible sans un travail très solide en amont. Devant le wall du 30ème km, impossible de bluffer, on est prêt ou on ne l'est pas. Tout l’intérêt du sport réside sans doute justement dans le fait que l’imposture n’y a aucune place ! Seul l’effort et la persévérance personnelle y sont récompensés. Une récompense légitimement source de fierté…

 

Je lui dis : – "Dites-moi… Pourquoi tous ces gens-là courent-ils comme des fous ?"Il me dit : – "Parce qu’ils le sont !" Il me dit : – "Vous êtes dans une ville de fous ici… Vous n’êtes pas au courant ?"Je lui dis : – "Si, si, des bruits ont couru !"Il me dit : – "Ils courent toujours !"  Raymond Devos

 

Hypothèse 3 : Le besoin de s’échapper, tout simplement.

Mentalement…
La course à pied, comme les autres sports individuels d’endurance, sont des sports au déroulement extrêmement simple. Un mouvement de base - relativement intuitif dans le cas de la course à pied- est répété à l’envi… des millions de fois. Bien sûr, un travail peut se faire sur l’allure, sur la foulée, sur la respiration, mais dans la plupart des cas, courir se fait naturellement. Cette activité ne nécessite pas d’y réfléchir, de se concentrer sur des règles ou sur une stratégie. Contrairement au footballeur, le coureur n’anticipe pas grand chose si ce n’est le nombre de kilomètres restant, l’abordant comme une entité floue qui s’étiole peu à peu. Son esprit peut donc immédiatement vagabonder, laissant le corps effectuer seule sa tâche "bête et méchante" de mettre un pied devant l’autre indéfiniment.
Aussi, quand on court, il arrive que notre cerveau parte à toute allure se fixer sur des images, sur des réflexions, sur des événements passés ou à venir. Etrangement, cependant, cette multitude de pensées qui s’accrochent les unes aux autres ne constituent pas une désagréable explosion emprunte de nervosité ou d’angoisses comme lors d’une nuit d’insomnie. Les pensées positives, mais aussi désagréables, défilent comme des diapositives. Je ne résous donc jamais un problème quand je cours, je ne prends jamais de décision… Il s’agit en fait plus d’une forme de méditation. Mes problèmes du jour sont là, suspendus au dessus de moi. Je ne les traite pas, mais je les accepte. Mes pensées arrivent et repartent, dans une sorte de flottement libératoire. Après la course, je suis généralement détendu car mon cerveau a pris sa pause. Il est prêt à redémarrer moins fébrilement.
Cette forme de méditation est d’autant plus importante que l’exercice est long et que la souffrance physique est bien gérée.

Et physiquement

S'il est passionné par les paysages sauvages, le coureur éprouve le besoin incompressible d’être entouré par la nature le plus souvent possible. La course à pied longue distance est un merveilleux moyen pour lui de s’adonner à ce plaisir. L' (ultra)trail est d’ailleurs tourné tout entier vers ce gout pour les grands espaces. Pour les citadins et employés de bureaux que nous sommes, il constitue une évasion revigorante. Intégrer des allées et venues en pleine nature dans sa vie quotidienne fait totalement "partie du jeu" des passionnés de course à pied.

Hypothèse 4 : L’effort d’endurance, qu’expérimente le coureur, agit comme une drogue dure. Le coureur est en fait un vulgaire junkie!

Encore une fois, une part de vérité se cache derrière cette idée. Les coureurs d’endurance décrivent souvent un moment d’extase, qu’ils touchent après une longue période d’effort. Pendant longtemps, ce "high" du coureur a été entouré d’un halo de mystère, car les scientifiques ne parvenaient pas à déterminer quel mécanisme en était à l’origine. En 2008 le Docteur allemand Henning Boecker a utilisé une technique d'imagerie médicale (le PET Scan) sur des coureurs afin de comprendre le phénomène. Les mêmes scans ont été effectués sur le cerveau de 10 athlètes, une première fois au repos et une deuxième fois après une séance de course à pied à un rythme d’endurance, longue de deux heures. Le médecin a constaté une présence accrue d’endorphines dans les parties des cerveaux associés aux émotions (système limbique et cortex préfrontal, si j’ai bien saisi) après les deux heures d’effort.

Pour rappel : les endorphines sont des hormones secrétées par notre corps humain (notamment après l’orgasme) et dont la libération provoque des effets proches de ceux ressentis lors de la prise de drogues opiacées (morphine, héroïne, méthadone…).

Quand on connait la dépendance physique engendrée par ces produits, on a tôt fait d’imaginer à quel point le coureur serait, en fait, simplement "accro" à sa course à pied quotidienne. Mais sur ce sujet, aucune étude n’est encore disponible … Pas de conclusion hâtive donc. D’après les spécialistes, la dépendance aux endorphines serait plutôt psychologique. Elle n’en est pas pour autant facile à gérer. Des cas d'addiction au sport (bigorexie) sont d’ailleurs fréquemment rencontrés…  Autant le savoir! Et rester prudent!

Et donc?

Vous l’aurez compris, je n’ai pas réussi à trancher entre toutes ces "causes". Et honnêtement ce n’était pas le but. Une multitude de motivations diverses et parfois même contradictoires naissent chez nous coureurs… Elles octroient à ce sport primitif une universalité pleine de reliefs, le rendant passionnant à analyser!

Antoine, votre conseiller TraKKs